Représenter les usagers en milieu carcéral

Les représentants des Usagers (RU) occupent une place fondamentale dans la démocratie en santé. Ceux-ci portent la parole des usagers du système de santé, garantissant le respect de leurs droits et intérêts. Cette mission de représentation s’exerce également auprès de la population dite « sous-main de justice » lorsqu’elle est hospitalisée au décours de sa détention. Des RU siègent dans les établissements de santé où les patients détenus sont accueillis dans des unités spécialisées (Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales -UHSI) pour leur prise en charge médicale.

Ces Unités sont implantées dans les centres hospitaliers de Bordeaux, Lille, Nancy, Rennes, Toulouse, Marseille, Lyon et Paris. Le huitième pôle d’hospitalisation régional est constitué par l’Établissement public de santé national de Fresnes qui a une vocation régionale et nationale d’accueil en soins de suite et de réadaptation des patients détenus.

Les contraintes de liberté liées à l’environnement carcéral suscitent des interrogations quant à l’exercice de la représentation des usagers dans ce milieu.

Pour en savoir plus, nous avons interrogé Jean WILS, RU à l’établissement public de santé national de Fresnes.

 

Les patients détenus sont-ils informés de leurs droits en santé ?

Pour exercer pleinement la démocratie en santé dans un établissement, il est essentiel que chaque patient bénéficie d’une information claire et complète sur ses droits en matière de santé. Cette précaution semble être également prise dans les établissements de santé pénitenciers : « Dans l’établissement dans lequel je suis RU, comme dans les autres établissements de santé, les patients sont informés de leurs droits notamment par le livret d’accueil et l’affichage dans les couloirs » déclare Jean Wils.

Toutefois, les particularités liées à l’environnement carcéral impliquent une adaptation des moyens mis en œuvre en terme d’information des usagers : « Diverses raisons comme la spécificité des déplacements des patients-détenus, l’illettrisme plus important que dans la population générale font que l’établissement doit constamment adapter la manière dont il transmet ses informations. Par exemple, l’affichage dans les couloirs est un bon moyen d’information quand on peut prendre du temps à examiner et lire ce qui est exposé mais qui présente des limites lorsque vous êtes accompagné par un gardien pour vous rendre à une consultation ou à la salle de rééducation. En ce qui concerne la communication du livret d’accueil, la situation rend encore plus nécessaire d’en expliquer le contenu et d’accompagner sa lecture alors même que cette démarche est préconisée pour l’ensemble des établissements de santé » déclare Jean Wils.

 

Comment les patients détenus expriment-ils leurs plaintes et/ou réclamations ?

Dans la plupart des établissements, les usagers ou leurs proches sont invités à adresser leurs plaintes ou réclamations par écrit au directeur ou à la Commission des Usagers (CDU).  Cette méthode est également employée auprès des patients en détention.

Issues, pour nombre d’entre elles, d’un milieu défavorisé et en situation de précarité, de nombreuses personnes détenues cumulent un faible niveau scolaire, un déficit culturel, un isolement social ou familial, une instabilité professionnelle[1]. De ce fait, les moyens mis en place pour permettre l’expression de leurs griefs vis-à-vis de leur prise en charge médicale deviennent difficilement mobilisables : « Aujourd’hui, la question de la représentation passe par la parole et l’écriture. Or en prison, certains détenus ne possèdent pas le capital culturel qui permet d’utiliser facilement ces moyens d’expression. De plus, il a été constaté que les patients-détenus avaient souvent une attitude moins demandeuse que les patients hors contexte carcéral [2].   Il est donc nécessaire de trouver d’autres modalités adaptées à ces personnes, permettant que notre rôle de RU soit effectif, sinon nous ne représentons personne. » affirme Jean Wils.

 

Quelles solutions pour faciliter l’expression des usagers ?

Pour répondre à cette difficulté et permettre une expression directe des usagers, l’établissement public de santé national de Fresnes offre la possibilité pour des patients détenus de participer à la CDU : « L’idée est assez innovante. En tant que RU, cela permet de tenir compte de l’expérience des patients, de rebondir sur des propositions et des remarques qu’ils expriment, et d’essayer de trouver avec eux des solutions. Un autre moyen envisageable serait de construire des petits groupes thématiques qui permettraient de travailler avec eux sur ces questions » propose Jean Wils.

 

 Quels conseils pour les RU qui souhaitent s’engager dans ce type d’établissement ?

En résumé, les spécificités des établissements de santé en milieu carcéral imposent que tout RU souhaitant s’y engager puisse sortir de sa zone de confort. L’expérience peut s’avérer très formatrice : « Exercer ses missions de RU dans un milieu comme celui-ci est très pédagogique car le contexte inconnu et nouveau nous oblige à beaucoup d’humilité et à un effort d’adaptation immédiat. Cela demande en effet de prendre en compte la privation de liberté, situation dans laquelle la notion de respect des droits peut être interrogée ainsi que celle des formes de représentation.  C’est très riche de ce point de vue-là, mais ce n’est finalement pas spécifique dans la mesure où selon le lieu d’exercice de son mandat, tout RU doit faire preuve de créativité en matière d’outils pour permettre l’expression des personnes et pour porter réellement la voix des usagers qu’il représente »

En conclusion, il importe de le rappeler : à chaque situation sa spécificité, mais les droits en santé continuent de s’appliquer quel que soit le milieu et le parcours de vie des personnes. A chaque RU de s’adapter pour trouver les meilleurs moyens qui permettent aux usagers d’être acteur de leur santé, d’un point de vue singulier mais aussi plus collectivement pour améliorer la démocratie en santé.

 

 

Contact : Fouraha SAID SOILIHI – Chargée de mission France Assos Santé Ile-de-France  fsaid-soilihi@france-assos-sante.org

 

 

 

 

[1] https://oip.org/en-bref/qui-sont-les-personnes-incarcerees/

[2] L’UNITÉ HOSPITALIÈRE SÉCURISÉE INTERRÉGIONALE(UHSI) DE TOULOUSE. Hélène Bazeix. CIRAP-Dossiers Thématiques-6- ENAP- Décembre 2009

 

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